Imaginez : vous lancez une campagne Facebook Ads à 50 000 €, les visuels sont magnifiques, le CTR explose… et trois jours plus tard, un photographe vous envoie une mise en demeure parce que votre image Midjourney ressemble étrangement à une de ses photos protégées. Pire, un artiste connu menace de vous traîner en justice pour « vol de style ». En 2025, ce scénario n’est plus de la science-fiction : c’est le quotidien de dizaines de marques prises dans la tourmente juridique de l’IA générative.

Près de 87 % des équipes marketing utilisent déjà des outils comme Midjourney, DALL·E 3, Stable Diffusion ou Firefly pour créer bannières, posts sociaux, packshots produits ou illustrations éditoriales. La vitesse est folle, le rendu souvent bluffant. Mais derrière chaque « Generate » se cache une bombe à retardement légale si vous n’avez pas les bons réflexes. Cet article vous donne la feuille de route complète pour dormir tranquille.

Les licences des outils IA : ce qu’elles couvrent vraiment (et ce qu’elles ne couvrent pas)

Tous les générateurs d’images ne jouent pas dans la même catégorie juridique. Voici le panorama réel en décembre 2025 :

  • Midjourney : droits commerciaux accordés uniquement aux abonnés payants (Basic exclu). Les images restent visibles dans la galerie publique par défaut.
  • DALL·E 3 (via ChatGPT Plus ou API) : OpenAI transfère les droits d’usage commercial à l’utilisateur, mais se réserve le droit d’utiliser vos prompts pour entraîner ses modèles futurs.
  • Adobe Firefly : probablement la solution la plus « safe » aujourd’hui. Modèle entraîné exclusivement sur Adobe Stock + contenu domaine public + licences ouvertes. Droits commerciaux complets, même sur le plan gratuit (limité).
  • Stable Diffusion (locaux ou via plateformes) : dépend totalement du modèle utilisé. Certains checkpoints (ex : Realistic Vision) sont encore gorgés de données LAION-5B non filtrées → risque élevé.
  • Leonardo.AI, Ideogram, Flux : licences généralement généreuses en usage commercial, mais attention aux « fine-tuned models » créés par la communauté.

Le piège classique ? Croire qu’une licence « usage commercial autorisé » vous protège à 100 %. En réalité, elle ne couvre que la relation contractuelle avec l’éditeur de l’outil. Elle ne vous immunise pas contre une plainte d’un tiers (artiste, photographe, ayants droit) si votre image reproduit trop fidèlement une œuvre protégée.

Le vrai problème : les datasets d’entraînement

Derrière chaque image IA se cache un modèle entraîné sur des milliards d’images aspirées du web. Et là, c’est le Far West.

« LAION-5B contenait 170 000 images sous licence Creative Commons restrictive ou explicite “No AI training”, pourtant utilisées quand même. »

– Rapport Carnegie Mellon / LAION, janvier 2025

Conséquences concrètes pour vous :

  • Un artiste peut prouver que son style a servi à l’entraînement (via outils comme HaveIBeenTrained) et attaquer l’éditeur de l’outil… ou vous, utilisateur final.
  • Des procès historiques sont en cours : Getty Images vs Stability AI, New York Times vs OpenAI/Microsoft, Sarah Andersen & al. vs Midjourney/Stability/Runway.
  • En Europe, le droit de « style » n’existe pas explicitement, mais la jurisprudence récente (affaire Brompton Bicycle, CJUE) ouvre la porte à des protections indirectes.

En clair : même si vous avez payé votre abonnement Pro, vous n’êtes jamais à l’abri d’un cease and desist d’un artiste ou d’un photographe.

L’AI Act européen : ce qui change vraiment pour les marketeurs

Entré en application progressive depuis août 2024, le Règlement IA impose désormais :

  • Obligation de transparence sur les données d’entraînement pour les modèles « généralistes » (donc tous les générateurs d’images).
  • Respect des opt-out (Nightshade, Glaze, listes robots.txt renforcées).
  • Marquage obligatoire des contenus synthétiques (visibles ou invisibles) → à partir de février 2026 pour les images commerciales.

En pratique ? Adobe et Google (Imagen 3) sont déjà conformes. Midjourney traîne des pieds. OpenAI annonce une conformité partielle pour 2026. En attendant, c’est à vous de faire preuve de diligence raisonnable.

Qui est l’auteur d’une image générée par IA ?

En France et dans la plupart des pays européens : personne. L’Office du droit d’auteur américain (USCO) a tranché en 2023 : pas d’intervention humaine significative = pas de copyright. La France suit la même logique (décision INPI 2024).

Conséquences pour votre marque :

  • Vous ne pouvez pas déposer votre visuel IA pur à l’INPI ou à l’EUIPO.
  • Un concurrent peut théoriquement générer une image quasi-identique sans que vous puissiez l’attaquer pour contrefaçon.
  • Seule solution : apporter une contribution humaine créative significative (retouches, composition, direction artistique claire).

Deepfakes, droit à l’image et publicité : le nouveau cauchemar

Vous voulez un mannequin parfait qui ne coûte rien ? Attention. Générer un visage réaliste sans contrat de droit à l’image peut vous coûter extrêmement cher.

Cas réel 2025 : une marque de cosmétique française condamnée à 120 000 € de dommages pour avoir utilisé un visage IA trop proche d’une influenceuse sans autorisation (tribunal de Paris, mars 2025).

Règles d’or :

  • Interdire strictement la génération de personnes réelles identifiables.
  • Préférer les styles illustrés, cartoon, 3D abstrait ou visages clairement synthétiques (type This Person Does Not Exist avec disclaimer).
  • Toujours faire signer un contrat de cession de droit à l’image si vous utilisez une photo de référence réelle dans le prompt.

Checklist pratique : 10 réflexes à adopter dès demain

  • Créez un dossier « IA Compliance » avec : prompt exact, seed, modèle/version, captures d’écran.
  • Utilisez systématiquement des negative prompts : « no copyright, no trademark, no logo, no real person ».
  • Passez toujours par une étape de retouche humaine (même 10 %) dans Photoshop/Canva/Photopea.
  • Préférez les outils « corporate safe » (Firefly, Canva Magic Studio, Google Imagen 3 via Vertex AI) pour les campagnes majeures.
  • Mettez en place une validation à deux yeux avant publication (DA + juriste ou responsable légal).
  • Ajoutez un watermark discret ou métadonnées C2PA quand c’est possible.
  • Formez vos équipes (15 minutes par mois suffisent).
  • Underpromise : ne dites jamais « illustration originale réalisée par notre studio » si c’est 100 % IA.

Le futur proche : ce qui arrive en 2026-2027

Attendez-vous à :

  • Licences payantes par les ayants droit (type « Getty AI License »).
  • Outils avec « provenance tracking » intégré (Adobe Content Credentials).
  • Assurances spécifiques « risque IA générative » (AXA et Hiscox lancent déjà des produits).
  • Marquage obligatoire visible des contenus IA dans la publicité (proposition de loi française en discussion).

En résumé : l’IA générative n’est pas près de disparaître de vos outils marketing. Elle est même en train de devenir incontournable. Mais comme tout outil puissant, elle demande un minimum de discipline.

En appliquant les bonnes pratiques aujourd’hui, vous transformez un risque majeur en simple formalité. Et vous gardez l’avantage compétitif énorme que représente la création visuelle à la vitesse de la lumière.

La question à vous poser avant chaque publication : « Si demain un journaliste ou un avocat me demande l’historique complet de ce visuel, suis-je capable de répondre en 10 minutes ? »

Si la réponse est oui, vous avez tout bon.