Un récent rapport du Financial Times soulève de sérieux doutes sur l’éthique publicitaire des géants du web Meta et Google. Le journal révèle que l’an dernier, les deux entreprises auraient collaboré en cachette sur un projet de publicités ciblant spécifiquement les adolescents sur YouTube avec des promotions pour Instagram.

Cette alliance secrète soulève plusieurs questions. D’une part, on peut s’interroger sur les motivations de YouTube, propriété de Google, à aider ainsi son rival Meta. D’autre part, et c’est plus grave, ce ciblage des mineurs violerait les propres règles de Google en matière de publicité, qui interdisent les annonces personnalisées pour les utilisateurs de moins de 18 ans.

Un intermédiaire pour brouiller les pistes

D’après l’enquête, Meta avait confié ce programme à une régie publicitaire tierce appelée Spark Foundry, avec pour mission d’atteindre plus d’ados. Les représentants de YouTube auraient alors conseillé Spark sur la façon d’utiliser certains groupes de ciblage non spécifiés pour toucher un public adolescent, sans pointer explicitement cette tranche d’âge (ce qui violerait les règles de Google).

En d’autres termes, YouTube disposerait d’une option de ciblage incluant des jeunes utilisateurs, mais sans l’annoncer publiquement. Spark aurait ensuite lancé la campagne pour le compte de Meta, ce qui signifierait que ce dernier a indirectement ciblé les ados, pouvant nier toute intention.

Pas d’acte répréhensible… en théorie

En l’état, il serait difficile de prouver un acte répréhensible, sauf s’il est avéré que les équipes de YouTube savaient pertinemment que la campagne ciblerait les ados. Meta étant un pas en retrait du ciblage publicitaire, le groupe peut affirmer ne pas avoir intentionnellement enfreint les règles de Google.

Néanmoins, ce timing est peu opportun pour Meta. La semaine dernière, le Sénat américain a adopté le Kids Online Safety Act, qui impose aux plateformes un devoir de vigilance accru pour protéger les mineurs des contenus néfastes en ligne, y compris la publicité.

Le Kids Online Safety Act crée une obligation pour les plates-formes et les applications de fournir des garanties et des outils aux parents et aux enfants. Ces garde-fous visent à protéger la vie privée des enfants, à prévenir l’utilisation addictive et à déconnecter les utilisateurs des systèmes de recommandation.

Extrait du Kids Online Safety Act

Une enquête est ouverte

YouTube a déclaré ouvrir une enquête sur ces allégations, tandis que le Kids Online Safety Act attend maintenant d’être adopté par la Chambre des représentants. Affaire à suivre donc, mais ce cas illustre une nouvelle fois les dérives potentielles du tracking publicitaire, surtout quand il cible des populations vulnérables comme les mineurs.

Au-delà des implications légales, c’est bien la question éthique qui se pose ici. Les ados sont-ils une cible comme une autre pour les annonceurs ? Où placer les limites en termes de collecte de données et de ciblage publicitaire quand il s’agit de mineurs ? Les géants du web se doivent d’être exemplaires sur ces sujets sensibles, au risque de nourrir la défiance croissante du public et des régulateurs envers leurs pratiques.

La Course effrénée à l’audience jeune

Derrière ce projet publicitaire douteux se cache sans doute la rivalité acharnée entre les réseaux sociaux pour capter l’audience jeune, avec TikTok en ligne de mire. Meta, qui a vu les ados délaisser Facebook et Instagram, cherche par tous les moyens à enrayer cette migration.

Mais cette course à l’audience ne doit pas se faire au détriment de la protection des mineurs. Les plateformes ont un rôle à jouer pour créer un environnement numérique sûr et bienveillant pour les jeunes utilisateurs. Cela passe par plus de transparence sur les pratiques publicitaires, un meilleur contrôle parental, et une modération renforcée des contenus.

Ce n’est qu’à ce prix que les réseaux sociaux pourront regagner la confiance des ados et de leurs parents. Une confiance durement ébranlée par les scandales à répétition sur l’impact de ces plateformes sur la santé mentale des jeunes. Il est temps pour les géants du web de placer l’éthique au cœur de leur stratégie, plutôt que les seuls impératifs de croissance. L’avenir nous dira s’ils relèvent le défi.