Alors que le projet de loi américain visant à forcer la vente de TikTok est sur le point d’être adopté, de nombreuses questions subsistent quant aux véritables enjeux de l’affaire. Qu’est-ce qui a poussé les sénateurs américains à voter massivement en faveur de cette mesure drastique, obligeant la plateforme à être vendue à des propriétaires américains sous peine d’être complètement bannie du pays ?
Si les spéculations vont bon train concernant un possible partage des données des utilisateurs américains avec la maison mère chinoise ByteDance, voire une promotion de contenus pro-Chine (et une censure des narratifs anti-Chine), TikTok a jusqu’à présent nié en bloc ces allégations. Aucune preuve tangible ne semblait étayer ces accusations.
C’était sans compter sur les récentes révélations du Ministère de la Justice américain. Dans des documents judiciaires rendus publics la semaine dernière, le Ministère affirme détenir des preuves selon lesquelles TikTok aurait traqué les opinions des utilisateurs américains sur des sujets sensibles, transmettant ensuite ces informations à ByteDance. La loi chinoise obligerait cette dernière à les communiquer au gouvernement chinois sur demande.
Un outil pour surveiller les utilisateurs
Selon le Wall Street Journal, le Ministère baserait ses conclusions sur la découverte d’un outil logiciel baptisé « Lark ». Celui-ci permettrait aux employés américains de TikTok et ByteDance de collecter des données sur les utilisateurs en fonction de leur contenu, notamment leurs opinions sur des sujets comme le contrôle des armes à feu, l’avortement ou la religion.
Grâce à Lark, les employés de ByteDance pourraient suivre les réactions des utilisateurs sur différents sujets et potentiellement identifier des comptes en fonction de leurs comportements. Parmi les sujets traqués figureraient également les contenus LGBT.
Plusieurs anciens employés de TikTok et ByteDance ont confirmé l’existence de ce système au sein des deux entreprises. Son fonctionnement nécessiterait l’envoi des données utilisateurs en Chine pour y être traitées.
Ciblage de propagande et censure
Le Ministère de la Justice affirme disposer de preuves démontrant que TikTok aurait utilisé ces informations pour cibler certains utilisateurs avec de la propagande, sous la direction du gouvernement chinois. La plateforme procéderait également à la censure de certains contenus, toujours à la demande du Parti communiste chinois.
Des soupçons de longue date, déjà rapportés en 2019 par The Guardian qui avait mis la main sur des documents internes. Ceux-ci détaillaient des consignes données aux modérateurs pour censurer les vidéos mentionnant la Place Tian’anmen, l’indépendance du Tibet ou le mouvement Falun Gong. Des allégations là aussi démenties par TikTok.
Il semble pourtant que la menace soit bien réelle et que TikTok dispose des moyens et motivations pour utiliser ce genre d’insights pour influencer l’opinion, à sa guise.
Poids de l’influence chinoise
Quand on considère l’influence que le gouvernement chinois exerce déjà sur la version locale de l’app (Douyin), ainsi que les efforts continus de groupes financés par l’état chinois pour orienter l’opinion des utilisateurs occidentaux sur à peu près tous les autres réseaux sociaux, il semble logique de penser que TikTok représente un vecteur idéal pour servir les mêmes desseins.
Au vu de ces éléments, la menace que fait peser TikTok ne serait donc pas tant de traquer les données individuelles des utilisateurs pour connaître leurs centres d’intérêt. Il s’agirait plutôt de cartographier les sensibilités politiques de certains groupes d’utilisateurs, afin de diffuser des messages susceptibles de servir les intérêts du Parti.
Ainsi, malgré les critiques de nombreux supporters de TikTok envers la décision du gouvernement américain de forcer sa vente, la démarche semble reposer sur une logique claire basée sur des insights internes. TikTok est-il instrumentalisé pour influencer l’opinion dans le sens voulu par Pékin ? Presque impossible à déterminer, tant la personnalisation de l’algorithme rend l’expérience de chaque utilisateur unique. Ne vous sentant pas personnellement influencé, vous pourriez penser que c’est impossible. Mais il est probable que ce soit plus subtile que ça, ou que vous ne soyez simplement pas une cible prioritaire.
À moins qu’il n’y ait rien de tout ça, comme le martèle TikTok. Ce sera maintenant à la justice de trancher, alors que TikTok conteste la décision dans l’espoir de rester actif aux États-Unis.
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