Imaginez-vous un lundi matin dans une tour de La Défense, face au portrait du Colonel Sanders. Vous êtes là pour interviewer la personne qui, en quelques années, a fait passer KFC France d’une marque un peu poussiéreuse à un acteur incontournable du “fast good”. Cette personne, c’est Isabelle Herman, passée de CMO à Directrice Générale en 2022. Son histoire n’est pas seulement celle d’une ascension : c’est un cas d’école pour tous les marketeurs qui rêvent un jour de prendre les rênes d’une entreprise.

Quand l’opportunité frappe sans demander votre avis

Beaucoup fantasment le grand saut CMO → CEO comme un moment solennel, presque cinématographique. Chez KFC France, ça s’est passé autrement.

« On ne m’a pas vraiment demandé si je voulais être DG. L’opportunité s’est présentée comme la suite logique. Et c’était une bonne chose : quand on te pose la question, ça peut faire peur. »

– Isabelle Herman

Leçon numéro 1 : parfois, la meilleure façon d’accepter un rôle écrasant, c’est de ne pas avoir trop le temps d’y penser. Surtout quand on connaît déjà l’entreprise par cœur, ses franchisés, ses clients et ses leviers de croissance.

Isabelle avait déjà un pied dans le comité de direction, un track record béton (hausse des ventes et de l’image de marque en trois ans) et surtout une légitimité forgée sur le terrain : elle avait piloté des projets transverses bien au-delà du marketing pur – provenance du poulet, végétalisation de l’offre, stratégie “fast good”. Des sujets qui mobilisent achats, opérations, IT… Bref, elle avait déjà prouvé qu’elle savait embarquer tout le monde.

Prendre les rênes… en pleine tempête

Timing parfait : elle arrive aux commandes quelques mois avant la guerre en Ukraine. Inflation des matières premières, explosion des coûts énergétiques, 56 franchisés indépendants qui paniquent. Bonjour l’état de grâce.

Mais paradoxalement, cette crise a joué en sa faveur : elle connaissait déjà les acteurs, les restaurants, les clients. Elle n’a pas eu à découvrir l’entreprise en même temps qu’à la sauver.

Les trois chocs du passage au sommet

Passer de CMO à CEO, ce n’est pas juste un changement de titre. Isabelle Herman identifie trois ruptures majeures :

  • Plus personne au-dessus de toi pour jouer les pare-feux
  • Tu deviens le visage de l’entreprise 24/7 : pas le droit de douter publiquement
  • Tu pilotes des fonctions dont tu n’as pas forcément la maîtrise technique (IT, finance…)

Solution ? Coaching externe, forums de dirigeants, et une bonne dose d’humilité. Elle n’a pas hésité à poser toutes les “questions bêtes” dès le début, consciente qu’après, elle n’en aurait plus le droit.

« Le rôle d’un leader, c’est d’être optimiste même quand c’est la tempête. »

– Isabelle Herman

Les 5 super-pouvoirs que le marketing t’offre quand tu deviens CEO

Après 15 ans de marketing (P&G, Kraft Heinz, Amazon, KFC), Isabelle est formelle : venir du marketing quand on dirige une marque grand public, c’est un avantage compétitif énorme. Voici pourquoi :

  • La pensée client chevillée au corps – Tu raisonnes toujours en barrières à l’essai et leviers de fidélisation
  • Vision long terme + exécution court terme – Tu sais à la fois rêver grand et livrer tous les jours
  • Soft skills affûtés au combat – Défendre un budget pub face à un DG sceptique, ça forge
  • Ouverture d’esprit permanente – Tendances, IA, Gen Z : tu es déjà en veille H24
  • Storytelling de haut vol – Tu sais raconter une histoire qui embarque franchisés, salariés, mairies, banques…

En restauration rapide, où la marque est au cœur de la performance, ces compétences sont littéralement vitales.

Comment transformer une marque “junk” en marque désirable

Quand Isabelle arrive comme CMO, KFC traîne encore une image un peu cheap. Quelques années plus tard : poulet 100 % origine France, filets entiers, Nutri-Score, offre végétale, service à table, restaurants vitrines en centre-ville, campagnes rap ultra-cool… Comment on passe de la vision à la réalité terrain ?

En faisant du fast good une stratégie 360° qui irrigue TOUTES les fonctions :

  • Approvisionnement responsable
  • Gamme premium
  • Opérations exemplaires (notes Google en KPI principal)
  • Bornes intelligentes, service à table
  • Développement sélectif en cœur de ville

Le mantra : zéro déconnexion entre la promesse publicitaire et l’expérience vécue. Sinon, tu investis dans un seau percé.

Gérer 56 franchisés quand tu n’es pas leur patron

Le vrai défi d’un franchiseur ? Aligner des entrepreneurs indépendants qui regardent d’abord leur marge, avec une maison mère qui regarde le long terme et la cohérence de marque.

La solution d’Isabelle : parler leur langage tout en rappelant la vision commune. Et surtout, mettre le client au centre des KPI (notes Google, satisfaction). Résultat ? Les restaurants progressent, l’image suit, les ventes aussi, et tout le monde y trouve son compte.

Leadership : authenticité ou masque de fer ?

Dans un réseau où les échanges sont parfois… musclés, Isabelle a tranché : elle reste elle-même. Pas de costume de “grande patronne” froide. Elle mise sur la vulnérabilité assumée et un comité de direction ultra-participatif où on débat vraiment.

« Les équipes valorisent l’authenticité, même la vulnérabilité. C’est beaucoup plus engageant que la distance. »

– Isabelle Herman

Ses conseils aux CMO qui veulent devenir CEO

Si vous êtes CMO et que l’idée vous titille, voici la feuille de route selon Isabelle Herman :

  • Préférez la promotion interne : crédibilité immédiate
  • Prouver d’abord sur votre périmètre, puis sortir du silo marketing
  • Travailler vos zones de fragilité en mode commando (prise de parole, finance…)
  • Accepter le feedback cash et pratiquer encore et encore
  • Rester aligné avec les valeurs de l’entreprise – sinon, ça ne tiendra pas

Et demain pour KFC France ?

400 restaurants fin 2025, potentiel pour doubler. Le poulet est la viande préférée des Français, moins calorique, moins carbonée, ultra-versatile. L’enseigne veut continuer sa montée en gamme responsable, féminiser son réseau de franchisés et ouvrir encore plus de restaurants qualitatifs en centre-ville.

En résumé, l’histoire d’Isabelle Herman nous rappelle une chose essentielle : dans les industries où la marque est reine, les meilleurs CEOs sont souvent d’anciens marketeurs qui n’ont jamais oublié que tout commence… et finit par le client.

Une leçon d’autant plus précieuse en 2025, où la bataille de l’attention et de la confiance se joue plus que jamais sur l’expérience délivrée, pas seulement promise.